Kaze no tani

« La vallée du vent »
Installation-fiction

Les arbres sont vivants, ils n’attendent que notre passage pour s’animer.

La série présentée ici est l’élément de base de l’installation qui comprend des tirages sur verre, une ambiance sonore et une fiction dictée par un comédien.

Les images sont imprimées sur verre avec une épaisse couche d’encre, ce qui permet de les projeter dans l’espace. La lumière se déplace et se cache, jouant avec le spectateur et son propre mouvement.

vue de l’impression sur verre

Le titre “Kaze No Tani” est inspiré par l’oeuvre de Hayao Miyazaki : « Kaze no tani no Nausicaa » (Nausicaa de la vallée du vent), maître japonais du dessin et de l’animation, qui apprécie tout comme moi l’inspiration proposée par le vent.

Voici un extrait en vidéo avec un tirage sur verre.

Démarche

Dans cette série d’apparence impressionniste voire abstraite, je montre la vie des immobiles qui défient le temps humain. J’aimerais montrer, voire démontrer, que l’environnement est vivant, avec des leurs mouvements perceptibles uniquement à l’heure bleue.

La vie de ces êtres nous semble imperceptible, de part leur lenteur, car notre référentiel de temps est bien trop rapide pour se rendre compte de l’évolution d’une plante sur des dizaines voire des centaines d’années… A moins d’utiliser la photographie pour révéler ce qui se cache derrière ce statisme, qui cache forcément quelque chose.

Technique

Techniquement parlant, il s’agit de poses longues avec des images d’arbres dont la particularité est d’avoir des zones nettes et d’autres avec un flou de bouger. La teinte de fond est originale car les images ont été prises à l’heure bleue, par temps couvert.

Critique

Patrica Houg ​(de la galerie du même nom) rapporte dans sa critique de l’exposition de cette série (Docks Art Fair Photo de Lyon, 2014) : “L’heure bleue de Francis: faire la mise au point de son propre regard à l’heure bleue n’est pas facile. Francis nous propose de troubler encore plus le paysage en proposant en double impression le crépuscule, une heure mystérieuse où la lumière s’accroche à l’obscurité… à moins que ce ne soit le contraire ?”

La Fiction

Un soir, alors que je conduisais depuis de longues heures, je fis l’erreur de sortir de l’autoroute pour me reposer un peu à l’orée d’un bois, qui me paraissait tout à fait ordinaire. L’endroit était assez austère, désert. Ma voiture et sa technologie qui avaient capitulé pour me remettre dans le droit chemin, j’avais besoin de me promener un peu, cet immense sanctuaire de formes inertes ferait l’affaire. Une fois dehors, j’inspirai profondément, profitant de l’air non conditionné. Le claquement de la porte résonna curieusement, mais je n’y fis pas attention. L’air était vif mais je ne demandais pas mieux. C’était la fin d’un jour qui se cachait derrière un immense voile translucide, l’heure bleue se posait délicatement, l’idéal pour faire quelques pas.

Le vent se mit à souffler progressivement, le froid envahit toute la vallée en quelques instants. Plus j’avançais dans les entrailles de cette forêt, plus j’entendais des bruits étranges : claquements, grincements… Je me figeai, un long moment. Dans l’obscurité, il me sembla que les arbres se mirent à bouger. J’étais pétrifié. Je découvrais alors une scène incroyable : les jeunes chênes se mirent à applaudir l’arrivée de grands arbres qui bougeaient sur place tels des joggers surexcités. Puis ce fut une course folle entre les différentes espèces, impossible de les reconnaître dans cette pénombre, mais eux savaient très bien où ils allaient. Soudain une branche tomba et faillit me heurter la tête. Je pris la décision de rentrer discrètement à ma voiture, coûte que coûte.

Un buisson, a priori mécontent de ma présence, me gifla. D’autres, plus coquins essayaient de faire des crocs-en-jambe, m’obligeant à sauter sur le chemin désormais devenu une arène. Les spectateurs s’amusaient bien de ma mésaventure et tous y allaient de leurs applaudissements et leurs coups de branches alors que j’essayais désespérément de ne pas tomber dans le fossé sans fond. J’avais l’attention de tous ces êtres immenses, penchés sur moi comme des rapaces sur un animal mourant, ils attendaient que je tombe, mais je n’avais pas l’intention de leur faire ce plaisir. Sous ces lourds feuillages et dans l’obscurité, je peinai à retrouver ma piste, je n’y voyais presque rien, me heurtant aux branches mortes qui riaient.

Soudain, à travers cet obscur cimetière, je remarquai une lumière au loin, c’était mon GPS qui s’allumait signalant qu’il n’avait plus de batterie. Sans réfléchir, tel un bulldozer, je fonçai  dans les branches, les ronces, ne reculant devant rien, espérant bien les impressionner par ce sursaut de vigueur. Je sentais les branches me retenir, des ronces me transpercer, mais je continuais dans mon élan. La douleur était grande, mais le bois craquait, s’arrachait et se brisait à mon passage. Finalement je réussis à atteindre la voiture et m’enferma à l’intérieur. Mais la rébellion était en marche. Certains agitaient leur branches comme pour dire “venez! il est là!”. A l’abri dans ma voiture, j’ai pris rapidement les quelques clichés que vous voyez ici, avec l’appareil que j’avais laissé sur le siège. Étrangement il me semblait que la forêt bougeait moins vite, mais je ne traînai pas et m’enfuis de ce piège à toute allure. 

Finalement, je suis arrivé plus tôt que prévu.

Francis Malapris