IN SITU

Série photographique sur l’évasion mentale

« Au moment où le corps se perd dans le décor, l’esprit vagabonde dans un univers aussi vaste qu’intime. »

La vacuité du quotidien provoque parfois des choses inattendues. Dans mon cas, c’est la fuite mentale, d’une manière incoercible. Cet isolement se met en place inconsciemment, laissant place à un automate, avec une mécanique rodée de gestes et même de communication, totalement compatible avec notre société actuelle. Mon esprit se retrouve alors dans un état méditatif, entre sentiment océanique et introspection. Je suis dans la lune et la vue me plaît. Il peut m’arriver de m’évader ainsi pendant plusieurs jours, avec une perte de la notion du « présent » qui pourtant m’est si chère. Le retour à la réalité, réel uppercut électrochimique, se fait souvent dans une torpeur excessive, en réaction au « malaise dans la civilisation ».

Dans « IN SITU », j’illustre la pluralité des évasions mentales en résonnance avec le lieu. Certaines personnes se refusent à le faire car le contact avec l’introspection est trop délicat. A l’inverse, d’autres se placent dans choisissent un endroit agréable, propice à la méditation, pour naviguer seules ou en groupe. Enfin, les derniers sont contraints dans un espace physique, fermé, et l’évasion reprend son sens premier. Dans tous les cas, l’absence mentale propulse la conscience de l’individu hors du décor, vers un univers intime, propre, entre réel et imaginaire. Du point de vue du spectateur, l’enveloppe corporelle, telle une statue, n’est alors plus qu’un objet qui appartient à l’environnement. Alors je capte ces moments que je collectionne en photographie. C’est très délicat car l’opportunité est souvent brève et le moindre geste ou bruit peut réveiller le fugitif. Pour construire cette série, je cherche l’angle de l’anti-théâtralité afin de permettre aux personnages d’éviter toute confrontation avec le spectateur. La pose suggère l’oubli de soi, « l’absorbement ». L’objectif est de pouvoir captiver le spectateur et susciter l’empathie.

A ma grande surprise, la restitution de ces scènes d’absence amène une autre lecture. Mon ambition première était d’exposer ces images, pour documenter et interroger le spectateur sur la nature du voyage intérieur. Mais lors des différents tests, j’ai remarqué que le lecteur s’identifiait à la personne sur la photo et se demandait à quel autre environnement elle pouvait bien penser. Le plus étonnant c’est que cela se fait en rapport avec le décor, et comme par réaction, le choix se porte souvent sur un « troisième lieu » en contraste avec l’original. Et celui-ci est différent pour chaque visiteur.

Même si certains individus paraissent poser pour la photo, l’intégralité des images de cette série (commencée en 2010) est composée d’instants volés, dérobés discrètement, au hasard de mes déplacements. Ces photographies invitent à se questionner sur le rapport à l’espace physique et par extension à la société qui nous entoure. Le lieu de l’exposition lui-même importe, car les images ont leur propre vie, elles se détachent ou s’accordent, comme bon leur semble. En résonance. In situ.

Références pour cette série :

  • Fine Art Photography Awards 2018 (nominée catégorie Street Photography)
  • EyeEm new talents awards 2017 (Berlin)
  • MIFA 2015 (Moscou)