Le cliché du Photographe Amateur
Qu’elle soit compulsive, technique, artistique, thérapeutique ou vernaculaire, la photographie touche aujourd’hui tout le monde. Elle n’est plus l’apanage d’un illustre professionnel mais un moyen de communication à la portée d’un enfant. Depuis l’invasion du numérique, cette « démocratisation » de la photographie, à l’image du métier, subit une crise d’identité et de valeurs avec contrastes et tensions. Mais qui sont donc ces nouveaux photographes amateurs ? Pour tenter de répondre à cette question, je propose cette série de « moments décisifs » avec la construction d’une image avec toute l’implication et le sérieux qu’une prise de vue nécessite, ou non.
Le partage de l’instant est devenu pour certains une manière de regarder quelque chose (à travers un écran), ou de se voir, ou faire valoir. A l’opposé, pour d’autres il s’agit d’un investissement dans une pratique technique et complexe, où le détail devient parfois plus important que le sujet. Puis, d’autres encore se projettent dans une image qui serait une transposition fantasmagorique du réel. Une « image réussie » a donc un objectif et un sens différent selon le contexte et les personnes.
Nombre de fois j’ai entendu : « J’adorerais faire de la photo ! Je voulais m’acheter un réflex, mais … » disait une personne qui avait un IPhone (réputé pour la qualité de ses images). Un matériel spécialisé, approuvé, serait-il la clé le l’entrée au royaume des « vrais photographes », fussent-ils amateurs ? Mais quelle est donc cette secte matérialiste au savoir mystique ?
« Vous devez faire de belles photos avec un gros appareil comme ça ! » disait une personne au possesseur d’un appareil énorme (un réflex haut de gamme avec une batterie additionnelle, ce qui double sa taille). Le riche propriétaire n’a pas répondu, probablement pour ne pas dévoiler le secret de ses incantations magiques. Il semblait à la fois fier et gêné.
« Tu fais des photos de paysage ? D’animaux ? » c’est le genre de réaction typique, lorsque je me déclare photographe. Le profane s’attend au cliché du photographe amateur, et lorsque je tente d’en sortir en parlant de projets artistiques, malheureusement je perds mon audience. Car la méconnaissance des arts plastiques pousse au rabaissement de soi-même, voire l’exclusion. Pourtant, il n’y a rien de plus simple que de regarder une image et de l’apprécier ou non. Il est vrai qu’il n’est pas simple de trouver les mots n’est pas simple, surtout lorsque cela touche au sensible.
Il y a des artistes (plus ou moins) amateurs qui abordent cet art avec à la fois simplicité, application et implication, ce qui est à mon humble avis la meilleure approche. J’en ai rencontré des dizaines, étonnants et créatifs, avec le mérite d’avoir une approche sensible et originale. Eux aussi rêvent que le fruit de leur investissement partira vivre sa vie, leur apportant reconnaissance et notoriété. Mais c’est extrêmement rare. Tout d’abord, beaucoup vont hésiter à faire ce partage, car exprimer directement sa sensibilité est considéré comme une faiblesse dans notre société. Ensuite, le marché a une approche différente, incompatible avec leur ambition, à moins qu’ils n’aient déjà de la notoriété. Mais même à ce moment-là, l’image doit se travestir en décoration, en fonction de la couleur du canapé. Il y a donc nombre de trésors perdus qui ne verront jamais le jour (ni un salon).
L’image, dont les plus grands poètes et philosophes ont vanté les mérites, a donc perdu une partie de son aspect mystique. Pourtant, souvenez-vous, au 19ème (XIX) siècle, les familles posaient face au magicien de l’image avec leur défunt. Puis cela s’arrêta avec l’arrivée de la photographie instantanée, laissant place au « vivant ». Aujourd’hui, le professionnel hérite d’une lignée de dignes techniciens et artistes, avec un savoir-faire glorieux. Mais malheureusement pour lui, il se perd dans une foule d’image libres d’intentions.
Est-ce si grave après tout ? Ne peut-il y avoir plusieurs lectures ? Et puis, n’oublions pas ce merveilleux « coup de chance » de l’amateur, qui peut apporter de nouvelles valeurs et pourquoi pas débrider quelque peu l’appréhension de cet art. Les festivals les plus honorables et même les musées sortent eux-mêmes de leurs références pour donner la place au vernaculaire. Depuis l’apparition des premiers reflex il y a 20 ans, la photographie numérique a pu démontrer qu’elle avait pris sa place avec une évolution fulgurante à travers le monde. Pourtant, l’argentique survit, à travers le travail de passionnés et de jeunes qui découvrent que la contrainte peut amener à la création.
Tout cela est remis en cause aujourd’hui, car depuis l’été 2022 une nouvelle révolution est en cours. Il s’agit du « Prompt Art », c’est-à-dire la création d’une image par intelligence artificielle à partir d’une simple description (prompt). Si souhaitez un joli bouquet de fleurs, il suffit de lui demander, même pas besoin de préciser la couleur des fleurs. C’est probablement le plus grand changement imaginable concernant les arts plastiques, y compris la sculpture. Là où les outils de retouche permettaient de construire avec labeur une idée, aujourd’hui l’outil propose des visions, il n’y a plus qu’à choisir celle qui correspond le mieux. Cela vient chambouler la confiance que l’on peut avoir envers les images, car ces créations synthétiques peuvent paraître très réalistes, ce qui génère de la peur.
Le plus étonnant, c’est qu’il y a nombre d’intelligences artificielles (IA), intégrées jusque dans les téléphones et les programmes de retouche afin d’embellir le modèle (jusqu’à la dysmorphophobie). Le point de rencontre entre fausse photo et photo fausse est donc inévitable, et bientôt il sera impossible de les différencier.
Aujourd’hui déjà, j’organise des shootings virtuels avec des modèles « scannés » puis intégrés à l’IA afin de créer des images ou photos (avec des personnes que je n’ai parfois jamais rencontrées). De leur point de vue, c’est la possibilité d’apparaître dans des univers oniriques. Je peux générer aussi facilement des moodboards afin de préparer un vrai shooting. Car c’est certain, je ne cesserai jamais d’être touché par le partage du moment avec une personne motivée pour poser.
Alors quel avenir pour l’image ? A mon avis, une perte de confiance est inévitable, avec de nouveaux conflits et crises. Mais j’ai l’espoir, que peut-être dans les années 2030, nous pourrons utiliser les images comme de simples mots pour traduire nos pensées et notre sensibilité, sans appréhension ni culpabilité.
Francis Malapris
Mars 2023
Cette série est dédiée à « Cool Azerty », un incroyable photographe lyonnais aujourd’hui disparu.